COTE D’IVOIRE Des citoyens confrontés à une justice incomplète Marc-André Boisvert ABIDJAN , 31 oct (IPS) - "Nous sommes tristes. Nous voulons le retour de
notre président", a déclaré à IPS, Yao Amandine,
depuis un coin de rue à Abidjan, la métropole
économique ivoirienne, après que la Cour pénale
internationale (CPI) s'est prononcée mardi contre
l'octroi d'une libération conditionnelle à
l'ancien président Laurent Gbagbo.
Gbagbo est accusé de crimes contre l'humanité pour
son rôle présumé dans la crise postélectorale de
2010 à 2011. Plus de 3.000 personnes sont mortes
dans les violences qui ont suivi le refus de
Gbagbo de concéder la victoire à Alassane
Ouattara, qui était reconnu internationalement
comme le vainqueur de l'élection de novembre 2010
en Côte d’Ivoire.
Mais en juin, la CPI a indiqué que l'affaire
contre Gbagbo n'était pas assez forte et a demandé
à la procureure générale, Fatou Bensouda, de mener
de nouvelles enquêtes et de présenter d’autres
preuves. La défense a utilisé cette situation pour
demander la libération conditionnelle de Gbagbo.
Depuis des semaines, les partisans de Gbagbo en
Côte d'Ivoire attendaient sa libération. Dans le
kiosque à journaux derrière Amandine, des titres
de la presse indiquaient: "Gbagbo fait ses
bagages" et "Gbagbo sera bientôt de retour". Mais
le 29 octobre, quand les nouvelles sont tombées
depuis La Haye, selon lesquelles l'ancien
président resterait en détention en attendant un
éventuel procès, bon nombre de ses partisans sont
déçus.
"Ils nous ont volé notre président, et ils ne
veulent pas le rendre. [La procureure Fatou]
Bensouda n'a aucune preuve. Ils doivent le
libérer", a affirmé à IPS, Jean Broue, pendant
qu'il se tenait debout à côté d'Amandine.
Dans ce pays d'Afrique de l'ouest, les procédures
de la CPI ont été accueillies avec un mélange
d'incompréhension et de frustration.
"C'est vrai que les gens ne comprennent pas ce qui
se passe", a souligné à IPS, Ali Ouattara,
président de la Coalition ivoirienne pour la CPI.
"Les gens doivent comprendre que [ces] décisions
font suite à des procédures à long terme à la
cour. Ils ne voient pas les motifs derrière les
décisions".
Il a admis que la CPI devait fournir une
communication constante aux Ivoiriens. Toutefois,
il a affirmé qu'il croyait encore que cette cour
internationale offrait la meilleure opportunité
pour que les Ivoiriens obtiennent justice.
Ici en Côte d'Ivoire, loin des procédures de la
CPI, la justice semble avoir été reportée pour
beaucoup.
Des groupes de défense des droits de l'Homme
continuent d'appeler à une fin de la "justice
sélective" qui est rendue par les tribunaux
locaux. Dans un rapport publié en avril, intitulé
"Transformer la rhétorique en réalité: La
responsabilité des graves crimes internationaux en
Côte d'Ivoire", 'Human Right Watch' (HRW) a
indiqué que les efforts du gouvernement visant à
garantir la justice pour les victimes des
violences étaient inégaux.
Depuis la crise, plus de 130 partisans pro-Gbagbo
sont confrontés à un procès, alors que seul un
partisan de Ouattara a été arrêté et poursuivi.
Des groupes de défense des droits affirment que
cela a entraîné une impasse dans le processus de
réconciliation dans le pays. 'Amnesty
International', 'Human Rights Watch' et la
Fédération internationale des droits de l'Homme
(FIDH) ont exigé que la justice soit aveugle et
ont demandé que les partisans de Ouattara soient
aussi tenus responsables de leurs crimes.
Mais il semble que Gbagbo sera le premier et peut-
être le seul Ivoirien à être transféré à La Haye.
La CPI a également émis un mandat d'arrêt contre
l'épouse de Gbagbo et ancienne Première dame,
Simone Gbagbo, pour des chefs d’accusation liés à
son implication présumée dans les violences à la
suite de l'élection de novembre 2010. Mais le
gouvernement ivoirien a refusé de la transférer,
estimant plutôt qu'il était désormais capable de
poursuivre ses propres citoyens.
Le gouvernement n’a pas encore pris une décision
sur un autre mandat d'arrêt délivré par la CPI.
Le 23 septembre, le ministre ivoirien de la
Justice, Gnenema Coulibaly, a déclaré que la CPI
avait émis un mandat d'arrêt sous scellés contre
Charles Blé Goudé, l’ancien leader des Jeunes
patriotes, un groupe pro-Gbagbo, quasi-milice. Il
est accusé de crimes contre l'humanité et de viols
qui ont eu lieu au cours des violences de décembre
2010 à avril 2011.
Il y a une semaine, l'équipe juridique ivoirienne
de Blé Goudé a exigé que le gouvernement le fasse
juger en Côte d'Ivoire.
"Nous pensons que les tribunaux ivoiriens sont
capables", a affirmé Claver Kouadio N'Dry,
l'avocat de Blé Goudé, au cours d'une conférence
de presse. "Nous demandons au gouvernement de
prendre la même décision courageuse et salutaire
[comme il l'a fait dans le cas de l'ancienne
Première dame Simone] Gbagbo"
Quelle que soit la décision du gouvernement par
rapport au transfert de Blé Goudé, il a déjà
annoncé la fin imminente de la mission des organes
mis en place pour traiter des violences
postélectorales.
Bruno Koné, le porte-parole du gouvernement, a
déclaré il y a une semaine que le mandat de la
Cellule spéciale d'enquête, qui a été créée en
2011 pour enquêter sur les crimes commis durant
les violences, ne serait pas renouvelé dès la fin
de sa mission en décembre. Il a expliqué que les
services de police et les tribunaux du pays
seraient en mesure d'assumer ce rôle.
"Cette unité [était] créée à un moment
particulier. Maintenant, la situation est revenue
à la normale. Il n'est pas question de la
maintenir", a souligné Koné. Depuis avril, la
plupart des juges et enquêteurs de l'unité ont été
mutés dans d'autres ministères.
(FIN/2013)
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